Après « Frankenweenie » et « Dark Shadows », Tim Burton semblait sombrer dans un long et lent déclin, mais Big Eyes (2014) a finalement rendu au maître ses lettres de noblesse. Et tout cela, dans un registre dont il n’est pas coutumier.
Cette fois-ci, oubliez le fantastique, l’onirique. Big Eyes est schizophrénique, une dualité de personnalités complexes nourries par l’univers de la peinture, une opposition de style entre une artiste et un show man. L’une déploie ses ailes dans l’obscurité, l’autre s’épanouit sous le feu des projecteurs.
Amy Adams (Her, Lullaby) et Christoph Waltz toujours aussi époustouflant et bluffant à l’image de son rôle dans le dernier Gilliam (Zero Theorem), immortalisent l’histoire du couple Keane. Margaret, peintre dénotant dans une Amérique des années 60′ aux goûts plus conservateurs, et Walter, manipulateur, impertinent, en Rocancourt des galeries mondaines, déroulent parfaitement leur partition.
L’objet des convoitises, de grand yeux d’enfants, mélancoliques et profonds, intimidants et perturbants, tout droit sortis de l’esprit de Margaret et d’un passé lointain sans doute chaotique (la volonté farouche de protéger sa fille des velléités délirantes de son compagnon en est la preuve la plus significative).
Walter s’approprie la paternité des peintures et crée peu à peu un mythe extravagant auprès des médias et du public aux antipodes de ce que reflètent les œuvres, une pudeur, une candeur et une pureté sans pareil. Ce mensonge branlant aux fondations plus qu’incertaines orchestrera l’ensemble de l’intrigue. Une antinomie cérébrale donc, saisissante, parfois dérangeante tant le couple semble désarticulé et acculé dans un cynisme confondant.
Un virage scénaristique parfaitement maitrisé
Le mépris et le dégoût d’un côté, une frustration enclavée dans un tourbillon machiavélique de l’autre. Le film permet également aux nouvelles générations de découvrir le travail d’une artiste au talent indéniable qui colle parfaitement aux lubies fantastiques de Burton.
Le réalisateur de « Miss Peregrine et les enfants particuliers » (2016) et de « Dumbo » (2019), frustré sans doute d’avoir déçu lors de ses sorties précédentes, négocie donc parfaitement ce virage scénaristique avec un biopic étourdissant. La volonté de ne pas s’encrasser et ne pas se fondre dans le marbre, comme une vieille icône, l’a donc poussé à innover et s’émanciper d’un modèle artistique dont les rouages n’ont plus aucun secret.
Mathieu Portogallo