Même si tout ne va pas bien au Sénégal, la comparaison avec les autres pays de la région démontre la force du modèle sénégalais, fait de valeurs démocratiques, de respect et de modération. Un vent de populisme souffle pourtant du côté de Dakar, où les outrances du mouvement Patriotes et de son candidat Bassirou Diomaye Faye font craindre l’émergence d’une nouvelle culture politique faite de discours radicaux, de violence verbale et de remise en cause des grands équilibres sociétaux et religieux.
Quand on se regarde on se désole, quand on se compare on se console
Il y a beaucoup à dire sur la situation socio-économique du Sénégal, sur le chômage des jeunes, sur le poison de la corruption… La frustration d’une partie des citoyens, qui se sentent oubliés par des élites déconnectées, est légitime. Tout comme sont légitimes les aspirations à voir la pauvreté reculer et les services publics s’améliorer. Mais on ne peut pas nier que le Sénégal est aujourd’hui le seul pays qui avance dans une région en plein marasme.
Le Sénégal est un pays sahélien, sans ressources et richesses naturelles importantes, qui se positionne habilement depuis des décennies sur les créneaux des services et de la petite industrie, pour générer de la croissance. C’est grâce à sa stabilité institutionnelle, à des élites politiques responsables, et aux vertus de tolérance et de respect propres à la culture traditionnelle sénégalaise, que le bateau tient son cap dans un environnement particulièrement hostile.
Combien de coups d’Etat en Mauritanie, au Mali, en Gambie, en Guinée, ou en Guinée-Bissau, pour ne citer que les pays frontaliers du Sénégal. La descente aux enfers des pays naguère stables du Sahel (Burkina Faso, Mali et Niger) est la démonstration la plus frappante des crises historiques que traverse la bande sahélienne. Seul le Sénégal n’est pas touché par ces fléaux. Pourquoi ? Grâce à cet équilibre subtil entre la classe politique, la société civile et les chefs religieux, qui fait du pays de la Teranga une exception dans la région.
Malheureusement, la démocratie et la stabilité sont des constructions toujours fragiles. D’autant plus fragiles quand des mouvements politiques les prennent en otage avec cynisme pour multiplier les provocations, la démagogie, la violence verbale et les outrances en tous genres. Il s’agit peut-être de bons slogans de campagne, mais il est aujourd’hui possible de voir la démocratie sénégalaise reculer de 40 ans. Quel coup de tonnerre en Afrique et dans le monde, où le Sénégal est souvent cité en modèle.
Les Patriotes d’Ousmane Sonko, un mouvement populiste
La vie politique sénégalaise a connu un tournant majeur lors de la dernière campagne présidentielle en 2019, avec l’émergence d’Ousmane Sonko et de son mouvement des Patriotes. Pour la première fois, le pays a expérimenté la rhétorique populiste et la violence verbale d’un candidat ne proposant pas de solutions réalistes et crédibles, mais se complaisant à dénoncer et à salir le reste de la classe politique. Entre « tous pourris », conspirationnisme et dégagisme, Ousmane Sonko a allumé un incendie qui ne sera pas facile à éteindre pour préserver la démocratie sénégalaise.
Une méthode qui a fait ses preuves ailleurs dans le monde, de Donald Trump à Marine Le Pen, et qui a séduit de larges franges de l’électorat sénégalais en rassemblant 15,66% des voix lors de la présidentielle de 2019. Ousmane Sonko a fini en troisième position du scrutin derrière le président Macky Sall et l’ancien premier ministre Idrissa Seck. Un succès et une méthodologie de l’affrontement sur lequel le mouvement des Patriotes a accéléré au cours des cinq années écoulées.
Soufflant continuellement sur les braises du mécontentement, multipliant les appels à la violence, Ousmane Sonko a multiplié les provocations jusqu’à son arrestation et sa condamnation à deux ans de prison dans une affaire de mœurs et une condamnation définitive pour diffamation contre un ministre. Des condamnations qui ont justifié l’invalidation de sa candidature par le Conseil constitutionnel mais qui l’ont paradoxalement peut-être renforcé en l’érigeant en martyre. Une stratégie assumée du côté des Patriotes, bien décidés à jouer jusqu’au bout le jeu du chaos et de la division.
Bassirou Diomaye Faye : un candidat par défaut mais pas sans risque
Pour remplacer Ousmane Sonko, le mouvement des Patriotes a choisi une personnalité méconnue du grand-public, Bassirou Diomaye Faye. Un véritable candidat de substitution, qui a promis de changer la Constitution pour créer un poste de Vice-Président (qu’il compte offrir à Ousmane Sonko), mais qui n’en effraie pas moins les analystes de la vie politique sénégalaise.
Car si Bassirou Diomaye Faye n’a pas le charisme ni les qualités de tribun d’Ousmane Sonko, et s’il ne peut pas compter sur une assise électorale locale (il s’est présenté aux élections locales de 2022 à Ndiaganiao, mais y a été battu), il a la réputation d’être plus virulent et moins tacticien que son mentor. De quoi laisser craindre les pires débordements au cours de la période électorale qui s’ouvre au Sénégal.
Véritable poil à gratter de la vie politique sénégalaise, le mouvement des Patriotes est fondamentalement un parti de contestation qui n’est pas prêt à gouverner, comme le reconnaissent d’ailleurs 80% de ses électeurs selon un récent sondage paru à Dakar. Le choix des Patriotes et de Bassirou Diomaye Faye apparait davantage comme une volonté d’avertissement aux élites politiques en place. Un avertissement qui pourrait être un jeu dangereux en fonction des dynamiques des semaines à venir.
Imaginons un scénario du pire : Bassirou Diomaye Faye, qui n’a jamais exercé de fonctions politiques, est élu à la présidence sénégalaise. Doit-il mettre en œuvre un programme dont tout le monde sait qu’il mènera le pays à la ruine en quelques mois ? Et quid des dynamiques de pouvoir entre le nouveau président et Ousmane Sonko ? L’histoire nous apprend que ce type d’alliances se termine rarement dans l’harmonie, une fois la conquête du pouvoir réalisée.
Nul ne sait aujourd’hui si Bassirou Diomaye Faye est en mesure de réaliser un bon score le 24 mars, mais le Sénégal est à la croisée des chemins. Démocratie forte et respectée, le pays pourrait rapidement sombrer dans le chaos et l’instabilité s’il se mettait à suivre les voies du populisme empruntées trop souvent dans d’autres pays de la région.