En Afrique, les filières stratégiques pressées de faire des efforts dans la traçabilité

Société

Plateforme numérique de rupture pour la traçabilité du cacao camerounais ou pour les médicaments ivoiriens, registres d’identifiants des intrants de production pour respecter les normes exigeantes européennes, lutte contre les organisations criminelles… En Afrique, la technologie vient soutenir la traçabilité des filières agricoles et industrielles, renforçant la lutte contre la fraude et facilitant les exportations, notamment sur les marchés européens. Mais, dans certains secteurs comme les hydrocarbures ou les minerais, de nombreux efforts restent à accomplir.

Les solutions numériques gagnent du terrain

Dans les pays dits « en développement », la part de faux médicaments est estimée entre 10 et 30 % du volume global. Une menace pour les patients, notamment les plus pauvres. Face à ce phénomène, les acteurs de la santé sont loin de rester les bras croisés. En Côte d’Ivoire, 85 % des pharmacies se sont désormais tournées vers des approches numériques pour contrer ce phénomène, signe que les solutions technologiques constituent un atout précieux. « La (solution) que nous avons développée indique aux pharmaciens si les médicaments qu’ils vendent sont fiables », s’enthousiasme le fondateur de Meditect, Arnaud Pourredon, cofondateur de ce système. Au Ghana, c’est tout le cacao du pays, qui a été cartographié par le Cocobod, l’Office national du cacao. « Nous avons établi un système de traçabilité de bout en bout et l’avons testé avec succès », explique Michael Amoah, responsable de la recherche et du développement du Cocobd. Son but ? Favoriser l’export du cacao au sein de l’énorme marché européen en se « (conformant) à la législation de l’Union européenne relative à l’élimination de la déforestation ». Retour en Côte d’Ivoire, où le caoutchouc fait face aux mêmes problématiques d’adaptation aux normes européennes, principale zone d’exportation. « Nous avons relevé ce défi en gérant en direct notre approvisionnement, en le contrôlant rigoureusement et en mettant au point un système informatique capable de traiter les données, à chaque livraison, de tous nos producteurs », expliquait, il y’a un peu moins d’un an, Marc Genot, cadre dirigeant du Sifca, l’un des principaux acteurs de la filière.

Le Maroc loin d’être en reste

Et le Maroc est loin d’être en reste. CHO Group, l’un des principaux producteurs d’huile d’olive du pays, a récemment introduit une solution de traçabilité directement accessible pour les consommateurs via un QR Code apposé sur les bouteilles. Récemment, une nouvelle plateforme numérique a été mise en œuvre par l’Office National de Sécurité Sanitaire des Produits Alimentaires (ONSSA) pour renforcer la traçabilité des produits importés et améliorer la connaissance des consommateurs.

La plupart des experts pressent l’ensemble des filières agricoles africaines à se doter de solides capacités de traçabilité. « La mise en place d’un système de traçabilité permet de répondre à un enjeu de transparence pour le consommateur, à des enjeux de conformité réglementaire pour les acteurs économiques, voire à la maîtrise de la filière par les organismes de contrôle », évoquent ainsi plusieurs consultants du cabinet BearingPoint. Ces enjeux font le plus souvent intervenir des prestataires technologiques, des prestataires de services d’audit et d’inspection, ainsi que le secteur public.

Le pétrole, toujours poule aux œufs d’or des trafiquants

Si, l’usage des solutions technologiques tend, peu à peu, à améliorer la traçabilité des produits africains, d’autres secteurs connaissent encore des difficultés. Et l’enjeu est de taille. La traçabilité est en effet « une urgence économique, sanitaire et environnementale pour l’Afrique » pour le journaliste sénégalais Malick Diawara. « Le secteur d’informel et surtout les fraudes coûtent cher (aux États) », poursuit le journaliste. Chaque année, le continent perd en effet des dizaines de milliards de dollars dans la fraude et la contrebande. Fraude aux médicaments, aux produits alimentaires, aux hydrocarbures… Aucun secteur n’échappe réellement à ce fléau. Et le dernier cité est sans doute l’un des plus importants, avec des pertes fiscales liées à la fraude sur les carburants estimées à près de 130 milliards de dollars à la mi-mai 2023. Les systèmes de traçabilité des hydrocarbures mis en place dans les différents pays africains donnent en effet des résultats très inégaux, même s’ils adoptent souvent des approches technologiques similaires.

Dans ce contexte sensible, certains acteurs de la traçabilité des hydrocarbures sont ainsi dans l’œil du cyclone. S’il vient de remporter un contrat difficile en RDC (Katanga), Authentix peine à obtenir des résultats satisfaisants dans les pays dans lesquels il est implanté, comme le Ghana ou le Cameroun, avec des doutes prégnants sur l’efficacité de son programme. Au Ghana, où la contrebande atteint des niveaux records malgré la présence de l’entreprise sur le territoire depuis plus de dix ans, Authentix a récemment fait l’objet d’attaques dans la presse locale et des observateurs estiment que le groupe suivrait une stratégie changeante et opportuniste de partenariat critiquée pour son inefficacité opérationnelle. Illustration flagrante de ces difficultés, l’entreprise américaine aurait aussi fait face à des vols de ses marqueurs en Guyana, où il est prestataire de longue date du gouvernement local.

La contrebande de minerais, autre fléau africain

Autre filière particulièrement scrutée, celle des minerais. Véritable fléau en RDC, la contrebande des minerais, que les pouvoirs publics ont bien du mal à combler, est au cœur du conflit actuel avec le Rwanda. « Il y a toujours cette contrebande importante dans la région du Kivu, et ce, malgré les initiatives de traçabilité mises en œuvre », souligne ainsi Thierry Vircoulon, chercheur, pour TV5 Monde. Et ce, malgré les mécanismes mis en place, comme l’Initiative de la chaîne d’approvisionnement de l’étain (ITSCI), jugée inefficace et pourtant au cœur de l’approvisionnement de certaines multinationales, comme Apple, Samsung, Intel ou encore Tesla. Même à Kinshasa, les pouvoirs publics dénoncent le manque d’implication d’Apple pour contrer ce phénomène qui contribue à ensanglanter chaque jour le nord-est du pays et à risquer de précipiter Rwanda et RDC dans un conflit armé. Face à ce phénomène, certaines promesses semblent peu réalisables, en témoigne l’engagement d’Elon Musk de filmer les mines pour empêcher le travail des enfants. Si la promesse du patron de Tesla ne semble pas avoir eu de suites, des méthodes innovantes de traçabilité devront être conçues pour restaurer la confiance dans les chaines de distribution.

 

La rédaction
Créé en 2013, le site Maghrebnaute.com traite de l’actualité de l’Algérie, du Maroc et la Tunisie, mais également du monde arabe de façon plus large.