Une étude du Lancet révèle que le nombre de victimes à Gaza, suite au conflit avec Israël, est probablement supérieur de 40 % aux chiffres officiels.
Depuis le début des hostilités en octobre 2023, la question du nombre de morts à Gaza a fait l’objet de vifs débats. Le ministère de la Santé palestinien, dirigé par le Hamas, a fait état de 37 877 décès jusqu’au 30 juin 2024. Cependant, l’étude du Lancet suggère que ce chiffre est bien en deçà de la réalité, estimant qu’entre 55 298 et 78 525 personnes ont perdu la vie dans le même laps de temps. L’estimation moyenne du nombre de victimes atteint 64 260, soit une augmentation de 41 % par rapport aux données officielles.
L’approche statistique employée par les chercheurs pour obtenir ces résultats repose sur la méthode « capture-recapture », une technique utilisée pour estimer le nombre de victimes dans des situations de conflits. Cette méthode repose sur l’analyse de trois sources de données : les enregistrements des hôpitaux et morgues, les signalements en ligne des décès effectués par les habitants de Gaza via des enquêtes lancées par le ministère de la Santé, et enfin les obituaries publiées sur les réseaux sociaux, tels que Facebook, Instagram et WhatsApp, lorsqu’il était possible de confirmer l’identité du défunt.
Malgré l’absence de données complètes sur certains aspects, comme les causes exactes des décès, les chercheurs affirment que cette approche est fiable et offre une estimation réaliste de la situation. Zeina Jamaluddine, l’épidémiologiste principale de l’étude, a expliqué que la recherche avait cherché à éviter les doublons dans les listes de décès, en croisant minutieusement les trois sources. Elle a souligné que seule une petite portion des décès, confirmée par des proches ou par les autorités médicales, a été incluse dans l’étude.
Les résultats ont été validés par des experts en statistiques, dont Patrick Ball, statisticien reconnu pour ses travaux sur la collecte de données dans des situations de crise. Ball, qui n’a pas participé à l’étude, a précisé que la méthode utilisée était éprouvée et qu’elle avait donné des résultats cohérents dans d’autres conflits, comme au Guatemala ou au Kosovo. D’autres experts, comme Kevin McConway, professeur de statistiques appliquées à l’Open University, ont également salué la rigueur de l’approche, bien qu’il ait souligné que des incertitudes demeuraient, notamment en raison de la nature incomplète des données disponibles.
Une des limites importantes de l’étude est qu’elle n’a pas pris en compte les disparus, qui représentent un nombre significatif de personnes portées manquantes depuis le début du conflit. L’Office de la coordination des affaires humanitaires des Nations unies (OCHA) estime que près de 10 000 habitants de Gaza pourraient être enterrés sous les décombres, une tragédie qui complique encore les estimations de mortalité. De plus, l’étude se concentre uniquement sur les morts liées à des lésions traumatiques directes, excluant les décès indirects dus à la famine, à la privation de soins médicaux ou à d’autres causes secondaires liées au conflit.
Le ministère de la Santé de Gaza a, pour sa part, mis à jour son propre bilan, faisant état de 46 006 morts au 13 janvier 2025, principalement causées par les bombardements israéliens. Toutefois, ce chiffre, bien qu’en augmentation, reste largement inférieur à celui estimé par l’étude du Lancet.
Les auteurs de l’étude ont appelé à la prudence dans l’interprétation de ces résultats. Ils ont averti que des biais pouvaient exister en raison de l’absence de précision sur certaines causes de décès, comme les pathologies préexistantes non liées au traumatisme. Cependant, l’étude met en lumière la gravité de la situation humanitaire à Gaza, un bilan humain bien plus lourd que celui rapporté par les autorités locales.
Zeina Jamaluddine et ses collègues ont exprimé leur frustration face à la focalisation des débats publics sur les chiffres de la mortalité, rappelant que, quelle que soit l’estimation, la perte humaine à Gaza reste dramatique. « Nous savons que le nombre de morts est très élevé », a-t-elle déclaré, soulignant que l’important n’était pas seulement le chiffre exact, mais la reconnaissance de l’ampleur de la tragédie qui touche la population civile palestinienne.
L’étude du Lancet rappelle ainsi l’urgence de fournir une aide humanitaire et de mettre en place des mécanismes permettant une meilleure collecte et analyse des données sur les pertes humaines dans les zones de conflit.