Nichée sur un promontoire du nord marocain, la petite enclave de Kach Kouch révèle les traces d’une sédentarisation bien antérieure à l’arrivée des Phéniciens. Une découverte archéologique majeure qui réécrit les débuts du peuplement structuré au Maghreb et suggère des échanges précoces avec l’Europe.
Sur les hauteurs rocheuses dominant la vallée d’Oued Laou, à quelques encablures de la Méditerranée, une équipe d’archéologues a mis au jour un site qui pourrait bien changer notre vision de l’Afrique du Nord à l’âge du bronze. Le lieu, connu aujourd’hui sous le nom de Kach Kouch, abrite les restes d’un ancien village dont l’occupation remonterait à plus de 4 000 ans. Une datation qui bouscule les théories jusqu’ici admises sur l’histoire des premières communautés sédentaires au Maghreb.
Une vie de village avant l’heure
Perché à une centaine de mètres d’altitude, sur un terrain calcaire d’environ un hectare, le site témoigne d’une occupation humaine entre la fin du troisième millénaire et le premier millénaire avant notre ère. Les fouilles, menées entre 2021 et 2022 sous la direction de l’archéologue Hamza Benattia de l’université de Barcelone, révèlent qu’une cinquantaine de personnes vivaient là, pratiquant l’agriculture et l’élevage.
C’est une révolution scientifique : jusqu’ici, l’idée dominante voulait que les populations du nord du Maghreb soient demeurées largement nomades jusqu’à l’arrivée des Phéniciens, vers 800 avant J.-C. Les découvertes de Kach Kouch montrent pourtant que la sédentarisation avait déjà pris racine plusieurs siècles auparavant.
Des indices concrets d’un mode de vie stable
Outre une vaste collection de tessons de poterie — plus de 8 000 fragments — et d’outils en silex, les chercheurs ont identifié des bâtiments en torchis, des meules, des fosses de stockage et des graines carbonisées. Tous ces éléments indiquent une organisation sociale structurée autour de la culture et de la domestication des animaux.
« C’est la plus ancienne preuve d’une vie sédentaire sur la côte méditerranéenne du Maghreb », soulignent les chercheurs dans une étude publiée dans la revue Antiquity. Longtemps évoquée sans preuve concrète, l’hypothèse d’une sédentarisation précoce dans cette région trouve enfin une base tangible à travers ce site.
Des connexions inattendues avec l’Europe
L’un des objets les plus fascinants exhumés à Kach Kouch est un fragment de bronze étamé, daté entre 1 110 et 920 avant J.-C. Cet artefact soulève une question essentielle : a-t-il été produit localement ou importé ? L’alliage est courant en Méditerranée occidentale à cette époque, mais celui-ci constitue le plus ancien exemple connu au nord-ouest de l’Afrique (hors Égypte).
L’analyse chimique du métal indique une origine atypique, et les chercheurs n’excluent pas une provenance européenne. « Il est tout à fait possible que l’étain utilisé vienne d’Europe », précise Hamza Benattia. Le fait qu’aucune trace de métallurgie locale n’ait été trouvée sur le site renforce cette hypothèse.
En parallèle, plusieurs poteries mises au jour présentent des similitudes frappantes avec celles de la péninsule Ibérique, ce qui suggère l’existence d’échanges culturels et commerciaux entre les deux rives de la Méditerranée bien avant l’époque phénicienne.
Une nouvelle carte des circulations humaines
Ces découvertes s’ajoutent à d’autres indices génétiques et matériels indiquant des interactions fréquentes entre le Maghreb et l’Europe du Sud, dès le Néolithique. À Oued Beht, près de Rabat, les fouilles dirigées par l’archéologue Youssef Bokbot avaient déjà montré des similitudes biologiques entre populations nord-africaines et européennes.
Mais pour l’âge du bronze, les données manquent encore. Le site de Kach Kouch pourrait bientôt combler cette lacune : un squelette découvert sur place est actuellement en cours d’analyse, et les résultats, attendus dans les prochains mois, pourraient confirmer ces connexions humaines précoces.
Une redéfinition de l’histoire régionale
Kach Kouch, ou Dhar Moudden selon son toponyme d’origine, tient son nom actuel d’un terme arabe désignant des objets éparpillés au sol, clin d’œil involontaire à la richesse archéologique qui y sommeillait depuis des millénaires. Cette découverte vient couronner des décennies de spéculations savantes sur la transition entre nomadisme et sédentarisation dans cette partie du monde.
Elle souligne surtout l’importance du Maroc dans la relecture des dynamiques anciennes en Méditerranée. Ce site, discret et perché, pourrait bien être le point de départ d’un nouveau récit sur les origines des sociétés sédentaires d’Afrique du Nord — un récit moins centré sur l’apport extérieur et davantage ancré dans des dynamiques locales encore largement à découvrir.